Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/106

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circonscription de cet homme ! il ne se hâte pas, il laisse mûrir la poire avant que de secouer la branche : trop d’ardeur pouvait faire échouer ce projet. C’est qu’ordinairement la grandeur de caractère résulte de la balance naturelle de plusieurs qualités opposées.

MOI. — Eh ! laissez là vos réflexions, et continuez-moi votre histoire.

LUI. — Cela ne se peut, il y a des jours où il faut que je réfléchisse ; c’est une maladie, qu’il faut abandonner à son cours. Où en étais-je ?

MOI. — À l’intimité bien établie entre le juif et le renégat.

LUI. — Alors la poire était mûre… Mais vous ne m’écoutez pas, à quoi rêvez-vous ?

MOI. — Je rêve à l’inégalité de votre ton, tantôt haut, tantôt bas.

LUI. — Est-ce que le ton de l’homme vicieux peut être un ?… Il arrive un soir chez son bon ami, l’air effaré, la voix entrecoupée, le visage pâle comme la mort, tremblant de tous ses membres. « Qu’avez-vous ? — Nous sommes perdus. — Perdus ! et comment ? — Perdus ! vous dis-je, sans ressources. — Expliquez-vous. — Un moment, que je me remette de mon effroi.