Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/107

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— Allons, remettons-nous, » lui dit le juif, au lieu de lui dire : Tu es un fieffé fripon ; je ne sais ce que tu as à m’apprendre, mais tu es un fieffé fripon, tu joues la terreur.

MOI. — Et pourquoi devait-il lui parler ainsi ?

LUI. — C’est qu’il était faux, et qu’il avait passé la mesure ; cela est clair pour moi, et ne m’interrompez pas davantage. « Nous sommes perdus,… perdus !… sans ressource !… » Est-ce que vous ne sentez pas l’affectation de ces perdus répétés ? « Un traître nous a déférés à la Sainte Inquisition, vous comme juif, moi comme un renégat, comme un infâme renégat… » Voyez comme le traître ne rougit pas de se servir des expressions les plus odieuses. Il faut plus de courage qu’on ne pense pour s’appeler de son nom ; vous ne savez pas ce qu’il en coûte pour en venir là.

MOI. — Non, certes. Mais cet infâme renégat…

LUI. — Est faux, mais c’est une fausseté bien adroite. Le juif s’effraye, il s’arrache la barbe, il voit les sbires à sa porte, il se voit affublé du san-benito, il voit son auto-da-fé préparé. « Mon ami, mon tendre ami, mon unique ami, quel parti prendre ? — Quel parti ? De se montrer,