Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/146

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affliger ainsi ? si vous voulez coucher avec une jolie femme, rien n’est plus aisé, et même de coucher avec une plus jolie que celle que vous poursuivez ; c’est la mienne, que je vous céderai au même prix. » Fait et dit ; le grison garde la lettre de change, et mon juif couche avec la femme du grison. L’échéance de la lettre de change arrive ; le juif la laisse protester, et s’inscrit en faux. Procès. Le juif disait : Jamais cet homme n’osera dire à quel prix il possède ma lettre, et je ne la payerai pas. À l’audience, il interpelle le grison. « Cette lettre de change, de qui la tenez-vous ? — De vous. — Est-ce pour de l’argent prêté ? — Non. — Est-ce pour fourniture de marchandises ? — Non. — Est-ce pour services rendus ? — Non ; mais il ne s’agit point de cela : j’en suis possesseur, vous l’avez signée, et vous l’acquitterez. — Je ne l’ai pas signée. — Je suis donc un faussaire ? — Vous ou un autre dont vous êtes l’agent. — Je suis un lâche, mais vous êtes un coquin. Croyez-moi, ne me poussez pas à bout, je dirai tout ; je me déshonorerai, mais je vous perdrai… » Le juif ne tint compte de la menace, et le grison révéla toute l’affaire à la séance qui suivit. Ils furent blâmés