Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/145

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béante, pour recevoir quelques gouttes d’eau glacée qui s’échappent du tonneau des Danaïdes. Je ne sais si elle aiguise l’esprit du philosophe, mais elle refroidit diablement la tête du poëte ; on ne chante pas bien sous ce tonneau. Trop heureux encore celui qui peut s’y placer ! J’y étais, et je n’ai pas su m’y tenir. J’avais déjà fait cette sottise une fois. J’ai voyagé en Bohême, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Flandre, au diable au vert !

MOI. — Sous le tonneau percé ?

LUI. — Sous le tonneau percé. C’était un juif opulent et dissipateur, qui aimait la musique et mes folies. Je musiquais comme il plaît à Dieu, je faisais le fou : je ne manquais de rien. Mon juif était un homme qui savait sa loi, et qui l’observait roide comme une barre, quelquefois avec l’ami, toujours avec l’étranger. Il se fit une mauvaise affaire qu’il faut que je vous raconte, car elle est plaisante.

Il y avait à Utrecht une courtisane charmante. Il fut tenté de la chrétienne ; il lui dépêcha un grison, avec une lettre de change assez forte. La bizarre créature rejetta son offre. Le juif en fut désespéré. Le grison lui dit : « Pourquoi vous