Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/39

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se reprenait comme s’il eût manqué, et se dépitait de n’avoir plus la pièce dans les doigts.) Enfin vous voyez, dit-il en se redressant, et essuyant les gouttes de sueur qui descendaient le long de ses joues, que nous savons aussi placer un triton, une quinte superflue, et que l’enchaînement des dominantes nous est familier. Ces passages enharmoniques, dont le cher oncle fait tant de bruit, ce n’est pas la mer à boire : nous nous en tirons.

MOI. — Vous vous êtes donné bien de la peine pour me montrer que vous étiez fort habile ; j’étais homme à vous croire sur votre parole.

LUI. — Fort habile, oh ! non. Pour mon métier, je le sais à peu près, et c’est plus qu’il ne faut ; car, dans ce pays-ci, est-ce qu’on est obligé de savoir ce qu’on montre ?

MOI. — Pas plus que de savoir ce qu’on apprend.

LUI. — Cela est juste, morbleu ! et très-juste ! Là, monsieur le philosophe, la main sur la conscience, parlez net : il y eut un temps où vous n’étiez pas cossu comme aujourd’hui ?

MOI. — Je ne le suis pas encore trop.