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Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/156

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petits Bretons bien sculptés qui jouaient du biniou. Dans notre guitoune, nous avions trouvé un fauteuil en osier, et un édredon rouge. Le sous-lieutenant Berthier possédait un canapé et une grande glace fendue au milieu, sur laquelle un guerrier crédule avait gravé : « Trois mois et la classe. »

Sur le bord de la route, il y avait même un piano que les hommes, découragés, avaient abandonné à mi-chemin du bois, et le soir, en attendant les voitures de distribution, les cuistots, en sourdine jouaient un petit air d’un seul doigt.

Les premières lignes n’étaient pas terribles, dans ce secteur sylvestre. Quelques obus indifférents, de loin en loin – c’est ainsi qu’avait été tué Nourry – une balle à risquer quand on allait cueillir du muguet entre deux boyaux, c’était tout. On se promenait librement dans le bois et les cuistots y faisaient leur tambouille, cent mètres à l’arrière, suffisamment cachés par les taillis. Pour la première fois, aux tranchées, on avait mangé chaud et bu du café qui fumait dans les quarts.

Les Allemands, au début, avaient lancé des torpilles, d’énormes « tuyaux de poêle » qui broyaient tout. Aussitôt on avait fait venir une section de bombardiers, pour leur répondre. Ceux-ci avaient creusé la terre pendant près d’un mois, nuit et jour, charrié des rondins, et fait un abri aux étais solides qui ne craignait rien. Puis, ils avaient amené leur canon.

C’était une riche pièce de musée, une sorte de tout petit mortier en bronze qui portait, gravé sur son ventre de crapaud, ses date et lieu de naissance : « 1848, République française, Toulouse. » On le