Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/30

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gars qui ne sait pas y faire pour nous englanter.

Les autres le huèrent, le fourrier voulut l’écarter, mais décharné, agitant les bras, il criait plus fort qu’eux tous.

— J’veux pas de ce morceau-là… Je l’dirai au pitaine, et au colon s’il le faut… C’est toujours les mêmes qui se dém… J’veux ma part… C’est à la cinquième qu’on est le plus.

— Vous n’êtes que onze…

— C’est pas vrai !… On se plaindra… Y a que des os…

Il poussait des cris tour à tour aigus et rauques, terrifiants et plaintifs, repoussant les uns, bousculant les autres. Ceux qui étaient déjà servis serraient leur part sur leur cœur, comme les mères de Bethléem devaient tenir leurs enfants la nuit du Massacre. Heureusement, le fourrier lui tendit une tranche, n’importe laquelle, et il se tut aussitôt, rasséréné d’un coup, sa colère inutile puisqu’il était servi. Il se tourna alors vers Demachy tandis qu’on continuait le partage.

— Tu comprends, lui dit-il amicalement, t’as de l’idée, mais tu gueules pas assez… Si tu veux être mieux servi que les autres, il faut gueuler, même sans savoir : c’est l’seul moyen d’avoir ton compte.

Gilbert Demachy l’écoutait sans répondre, amusé par ce grand gaillard à la barbe hérissée ; son silence attentif plut à Sulphart.

— Comme de juste, c’te bille de Bréval ne t’a pas dit de prendre le seau ou les bouteillons pour le pinard. Alors, dans quoi que tu veux l’emporter ? Dans tes grolles ? Heureusement que j’y ai pensé. V’là un seau, et j’ai pris un bidon, pour s’il y avait de l’eau-