Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/31

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de-vie… Ça ne fait rien, un cabot qui ne va pas lui-même aux distributions, ça ne se voit qu’à la cinquième. Il est encore resté à écrire à sa bourgeoise… Peau de fesse !

Sulphart ne daigna pas se mêler de la distribution de boîtes de singe, denrée qu’il méprisait, mais il cria pourtant : « Il m’en manque une ! » simplement pour montrer qu’il était là.

— Au vin ! dit le fourrier.

Sulphart s’élança le premier et tant que dura la distribution, il ne leva pas la tête ; à mesure qu’un seau se remplissait, il geignait, poussait de petits cris, comme si ç’avait été son sang qu’on eût versé.

— Assez… Assez… criait-il… Il tient plus que le compte… Voleur !

Mais les autres, qui avaient l’habitude, subissaient les injures et gardaient le vin. Son tour vint enfin, et il fit emplir son seau jusqu’au bord, jurant qu’il était arrivé six nouveaux, que le cabot allait se plaindre, qu’on s’était déjà « mis la bride » la veille, que le pitaine…

— Tiens, et fous le camp, lui dit le fourrier exaspéré en lui versant un dernier quart. Ah ! quel métier…

Content de lui, Sulphart s’en revint en triomphateur son seau d’une main et le sac sur l’épaule. Ils traversèrent le village, où flânaient les soldats désœuvrés en quête d’un débit, et, tout en cheminant il chercha à inculquer au nouveau les premiers principes d’astuce et de mauvaise foi nécessaires à un militaire en campagne.

— Chacun pour soi, tu comprends. J’aime mieux boire le pinard des autres, que ça soye les autres qui