Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

flocons de shrapnells. Un émouchet et un corbeau se poursuivaient à coups de bec, sauvagement. On entendait chanter une alouette, qui bougeait à peine. C’était dimanche.

Par-dessus les sacs à terre, on pouvait voir les tranchées allemandes : deux lignes minces, l’une de terre brune, l’autre de marne blanche. Les champs dévastés avaient des airs de terrain vague, avec leurs meules en ruine et leurs javelles culbutées. Sur le bord d’un chemin, une faucheuse abandonnée dressait ses longs bras désœuvrés.

La tranchée flânait. On se promenait dans les boyaux comme dans les rues d’une petite ville dont chaque coin vous est familier et l’on faisait la causette, à l’entrée des gourbis.

Sous leurs abris, les camarades bricolaient. Le petit Belin mettait le sien à sa mesure, taillant un trou pour sa bougie, un deuxième pour son quart, et un autre plus grand, pour y glisser ses pieds. Bréval écrivait à sa femme et Broucke dormait, son seul plaisir entre deux soupes.

Fouillard accroupi finissait une boîte de singe, qu’il prenait par grosses bouchées entre son couteau verdi et son pouce terreux. Gilbert le regardait de côté. Il n’aimait pas cet être chétif et sale ; tout le dégoûtait, sa voix, ses yeux rouges et jusqu’à son éternel fichu de laine, dont pendaient les pompons crasseux. Ils couchaient tous les deux dans le même trou, serrés, reins contre reins, et c’est surtout pour cela qu’il l’exécrait.

Pourtant, le nouveau s’était accoutumé assez vite à notre vie brutale. Il savait à présent laver son assiette