Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/44

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Parfois, un homme trébuchait et s’abattait de tout son long, dans un affreux tintamarre de gamelle, de quart et de bidon. Alors, sur toute la file, des rires étouffés couraient.

Soudain Gilbert entendit comme un souffle rapide qui s’enflait et au même instant, il vit la longue file d’hommes s’abattre d’un seul coup. Il fit comme eux. Un éclair éclata avec un terrible fracas de cuivre et de ferraille. Les éclats, en jurant, vinrent fouetter le sol, et l’âcre fumée se rabattit.

Gilbert à genoux, le cœur dansant, respira une large goulée de son premier obus.

« Cela sent bon », pensa-t-il.

Déjà les autres se relevaient et repartaient plus vite, presque courant. Rejetant le bidon qui lui battait les cuisses, il suivit Lemoine qui traînait, au bout d’une corde, un malheureux chien, arc-bouté sur ses quatre pattes raides.

— Halte ! firent passer des voix assourdies.

La tranchée était creusée juste devant la route. Trois fils de fer la protégeaient, comme une pelouse de square. Sous nos pieds, ronchonnaient des soldats invisibles qui mettaient sac au dos.

— Ils ne se sont rien cassé, pour faire la relève, grognaient-ils. Sûrement qu’on leur rendra leur vacherie.

Et sur cette bienvenue, les camarades s’en allèrent.



Un joli soleil pâle de la Saint-Martin. Sur le ciel d’un bleu tendre, les nuages étaient pareils à des