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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« Ô chère vision, toi qui répands encore,
De la plage lointaine où tu dors à jamais,
Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore
Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais !
Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,
La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté :
Il te revoit avec tes yeux divins, et telle
Que tu lui souriais en un monde enchanté !…[1] »


C’est cette unique image de pureté que Leconte de Lisle veut désormais garder dans son cœur, entretenir dans sa mémoire. Il a passé la quarantaine. Il croit que sa vie d’amour est finie, que les élans qui pourront traverser encore son cœur d’homme n’auront plus le pouvoir d’atteindre son intime détachement.

Dans cette sagesse où il vit, sans amertume, avec un sourire de demi-ironie sur les lèvres. Il a désormais une compagne dévouée et tendre : cette jeune fille qu’il a autrefois rencontrée dans un cercle intime et qui est devenue Mme Leconte de Lisle. Autour de la vie austère du poète, elle fait rayonner de la grâce, et cette merveilleuse vertu du désintéressement, qui n’est pas moins éclatante chez les amoureuses que chez les saintes. À côté d’une telle associée, le poète n’est pas seul à vivre pour sa vocation : les conseils, les encouragements qui viennent de cette bouche féminine ne le poussant jamais à s’occuper de « besognes » d’art, où il s’userait sans y donner sa mesure.

Une foule de lettres, trop intimes pour qu’on puisse leur faire des emprunts, sont là, pour attester que les heures de détresse morale et de difficultés matérielles furent atténuées, pour le poète, par la présence apaisante et tendre de ce génie familier.

Il aimait à écrire pour elle, sur de petits carrés de papier,

  1. « L’Illusion suprême ». Poèmes Tragiques.