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LA VIE PASSIONNELLE

d’une fine et ronde écriture, des billets, où il disait sa tendre affection, sa joyeuse gratitude :


« Tes beaux yeux sont un double éclair,
Et sur la pourpre de ta joue,
Les tresses que ta main de’noue
Comme des fleurs embaument l’air ;
Mais tes yeux noirs ont moins de flamme
Sous le velours de tescils bruns
Et tes cheveux moins de parfums
Que tu n’as de trésors dans l’âme ![1] »


C’est une aventure ordinaire, dans la vie des hommes qui ont fait peu de part au désir, qu’a l’automne de leur âge un réveil d’ardeur, de sentiment, de foi, de naïveté, qui s’accorde mal avec la sagesse dont ils sont fiers, les courbe une fois encore, sous la main de la femme.

Leconte de Lisle n’échappa point à cette loi, et ceci, dans son cas, est particulièrement intéressant : l’homme qui a écrit la pièce Les deux Amours, qui s’est montré si hésitant entre les certitudes de volupté que la femme enferme, et les joies d’âme que peut donner l’amour ingénu d’une jeune fille, se retrouve placé, par le destin, entre sa cinquantième et sa soixantième année, dans la même situation sentimentale où il a vécu, en pleine jeunesse, entre le trouble que causait en lui la beauté de Mme X…, et la grâce délicieuse de celle qui devait devenir Mme Leconte de Lisle.

Dans les dernières années de l’Empire, le poète avait renoué des relations d’intimité avec un de ses parents qui, après avoir fait fortune à Bourbon, était revenu en France marié à une créole de l’île. M. Y… avait la belle humeur et la rondeur de manières des hommes qui ont réussi par un effort personnel. Il avait, à Paris, une demeure agréable. D’autre part, il possédait en Bretagne, une propriété entourée d’un beau parc. Ce n’étaient point ces avantages exté-

  1. Pièce inédite, appartenant à Mme Leconte de Lisle.