Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

le jour où, un caprice de la jeune femme, donna congé à sa tendresse, comme d’un mouvement d’éventail.

Ce n’était pas de la coquetterie que, lui, il avait mise au jeu, mais cette poignante intensité de la maturité amoureuse qui ne peut plus perdre une heure de ses dons, et pour qui, une défection d’amour sonne avec la mélancolie d’un glas. Alors, tout l’émoi douloureux, tout le désespoir du poète, qui sentait se rouvrir, dans son cœur, des blessures nouvelles, s’exhalèrent dans des vers impérissables comme sa douleur :


Quand la fleur du soleil, la rose de Lahor,
De son âme odorante a rempli goutte à goutte
La fiole d’argile ou de cristal ou d’or,
Sur le sable qui brûle on peut l’épandre toute.

Les fleuves et la mer inonderaient en vain
Ce sanctuaire étroit qui la tient enfermée :
Il garde en se brisant son atome divin,
Et sa poussière heureuse en reste parfumée.

Puisque par la blessure ouverte de mon cœur
Tu t’écoules de même, ô céleste liqueur,
Inexprimable amour, qui m’enflammais pour elle !

Qu’il lui soit pardonné, que mon mal soit béni !
Par delà l’heure humaine et le temps infini
Mon cœur est embaumé d’une odeur immortelle ![1]


Leconte de Lisle est au lendemain de cette déchirure d’âme, quand, dans une pièce écrite à propos de la mort de Théophile Gautier, il s’écrie :


« … Aimer ? La coupe d’or ne contient que du fiel.[2] »


Sur la tombe de celui qui s’en va, il se pleure soi-même ; il envie celui qui entre dans la nuit ; il déclare son ami heureux :

  1. « Le Parfum impérissable ». Poèmes Tragiques, 1884.
  2. « À un Poète mort ». Poèmes Tragiques, 1884.