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LA VIE PASSIONNELLE


« D’être affranchi de vivre, et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme.[1] »


Quand on a levé le voile sur les scrupules de conscience dont le poète fut constamment tourmenté, ce dernier hémistiche : « l’horreur d’être un homme », apparaît, avec un sens plus particulier que d’autres professions de foi pessimistes, dont son œuvre est pleine.

L’intimité, qui unissait Leconte de Lisle à ses parents, n’ayant pas été interrompue par le changement d’attitude, survenu entre le poète et sa belle cousine, la possibilité de souffrir, dans de la détresse d’amour, ne fut pas épuisée par cette dernière épreuve, pour l’apôtre de l’impassibilité.

La fatalité, qui voulait que le rêve du poète fût perpétuellement balotté, des réalités qu’enferme le culte de la femme, aux délicates imaginations qui se dégagent de l’adoration de la vierge, devait, quelques années plus tard, lui mettre brusquement sous les yeux la délicieuse image de la fille de madame Y., qu’un subit développement, qui la faisait passer de l’enfance, aux séductions les plus troublantes et les plus précises de la jeunesse, offrit à ses regards émus, comme une suprême tentation d’aimer.

À la précocité créole, qui modelait, en grâce et en beauté, son adolescence en fleur, la jeune fille liait, un goût vif, pour la poésie, une grande vivacité d’esprit, un instinct juste pour l’art. C’était plus qu’il n’en fallait pour restaurer, dans l’âme du poète, en son intégrité première, cet idéal de la vierge, vers lequel allaient son instinct d’homme et ses préférences d’artistes.

La pièce de vers Épiphanie — qui, on s’en souvient, a été publiée autrefois dans une forme différente sous, le titre Les deux Amours — reparaît, à ce moment dans l’œuvre du poète, débarrassée cette fois, des hésitations que le vertige du

  1. « À un Poète mort ». Poèmes Tragiques, 1884.