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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

désir avait, un jour, inspiré au poète. Leconte de Lisle n’y apparaît plus qu’avec le visage, pieux d’un « Donateur, » au coin d’une toile où sont peintes, dans leur triomphale assomption, la Pureté et la Virginité.

Le paysage qu’il faut, cette fois, au poète, pour abriter l’objet sacré de son culte, c’est la Norvège, sa glace, ses lacs immarcescibles. Et ces lacs enferment la plus pure des eaux boréales ; des frênes, des bouleaux indécis, frissonnent à l’entour. L’azur de l’onde reflète, « celle » qui au milieu de ces candeurs diaphanes, passe : « tranquille en un rêve divin ». Son sang est « rose et subtil » ; son cou est « fin » ; ses cheveux blonds sont une « cendre ineffable », ses yeux ont la couleur : « des belles nuits du pôle »[1].

Ainsi elle glisse, à peine tangible, avec le rayonnement quasi-lunaire, de cette image de la vierge immaculée, qui plane, sur l’œuvre entière du poète, et qui lui fait préférer, à toutes les splendeurs sculptées dans le marbre, le fin contour d’un jeune sein modelé dans la neige.

Dans les yeux de cette vierge, qui ne contiennent que de la lumière, le poète a enfin trouvé le miroir qui convient à son rêve :


« Purs d’ombre et de désir, n’ayant rien espéré
Du monde périssable, où rien d’ailé ne reste
Jamais ils n’ont souri, jamais ils n’ont pleuré,
Ces yeux calmes ouverts sur l’horizon céleste.[2] »


Il est question à la fin de la pièce d’un « gardien pensif», archange attardé à la porte de l’Éden dont cette vierge foule les gazons. On sent, qu’à travers son masque, c’est Leconte de Lisle lui-même qui :


« … Regarde passer ce fantôme léger
Dans les plis de sa robe immortellement blanche.[3] »


  1. « Épiphanie ». Poèmes Tragiques.
  2. « Épiphanie ». Poèmes Tragiques.
  3. lbid.