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LA VIE PASSIONNELLE

de Banville, de Gustave Flaubert, de Swinburne — les amis de la maison. Ce sont, pour la plupart, des autographes d’un caractère général que Leconte de Lisle a demandés à ses camarades, et que, lui-même, a collés avec un soin amoureux comme s’il préparait un herbier pour l’offrir à sa Muse favorite. Les amis les plus intimes précisent l’envoi, tel Arago qui, dans une pièce de vers : Les Serments, risque cette prédiction :


« ... Quand on aime, ce sont des liens superflus :
On les brise en riant, alors qu’on n’aime plus… »


Telle Mme Tola Dorian qui, sur une page, ainsi dédiée : « À Madame Z… Juillet 1883 », écrit ces vers inédits :


« … Vous avez traversé les plus rudes épreuves
De la route, que rien n’abrite ou ne défend
Et vous portez le voile inconsolé des veuves
Sur le front d’une vierge et les yeux d’un enfant…
Vous êtes parmi nous si doucement venue,
Sérieuse, et loyale, et fière, et souriant,
Apportant au poète une joie ingénue,
Que notre soir salue votre jeune orient…
Que le ciel orageux de l’Austère Armorique
Pour sa fille choisie allume un plus beau jour
Que Velléda pensive, au front du chêne antique
Cueille le gui sacré pour l’autel de l’amour. »


Il y eut une minute où Leconte de Lisle se demanda, peut-être, si ce ne seraient point ses mains de poète, qui cueilleraient ce gui sacré ? La loi du divorce venait d’être votée. La belle veuve fit entendre au poète que l’application de cette loi pouvait seule apporter, à leur tendresse, une solution heureuse.

Mais Leconte de Lisle n’était pas homme à s’arrêter, un seul instant, devant une possibilité qui demeurait extérieure à sa droiture d’âme, à son instinct de justice, à ses affections et à ses gratitudes anciennes. L’illusion dont là jeune femme et son grand ami avaient vécu, ne pouvait donc plus