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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Cette prétention d’avoir, une fois pour toutes, précisé la Vérité, grâce au privilège d’une Révélation qui dédaigne de justifier ses affirmations par des raisons ou des preuves, exaspère à ce point Leconte de Lisle, qu’elle l’a souvent empêché de juger le Christianisme avec le calme d’un historien.

Ce parti pris, le poète ne le dissimule point : il l’étalerait plutôt avec une espèce de fanfaronnade, où, à la passion sincère, se mêle un peu de ce goût d’effarer l’âme bourgeoise, qui portait un Tribulat Bonhomet, — ce héros de Villiers de l’Isle Adam, le frère de l’Homais de Flaubert — à se déclarer : « L’ennemi personnel des religions. »

Dès 1855, Leconte de Lisle écrivait :

« En général tout ce qui constitue l’art, la morale et la science est mort avec le Polythéisme. Tout a revécu avec la Renaissance. C’est alors seulement que l’Idée de la Beauté reparaît dans l’intelligence et l’Idée du Droit dans l’ordre politique. En même temps que l’Aphrodite Anadyomène du Corrège sort pour la seconde fois de la mer, le sentiment de la dignité humaine, véritable base de la morale antique, entre en lutte contre le principe hiératique et féodal. Il tente, après trois cents ans d’efforts, de réaliser l’idéal platonicien : l’esclavage va disparaître enfin de la terre.[1] »

Et comme le poète se doute que de telles affirmations apparaîtront, à beaucoup, sous la figure d’un paradoxe il ajoute :

« L’étude de la théogonie polythéiste, l’examen des faits historiques et des institutions, l’analyse sérieuse des mœurs, suffisent à la démonstration d’une vérité admise par tout esprit libre d’idées reçues, sans contrôle de préventions aveugles. »

Leconte de Lisle en veut aux religions en général de s’être servi du fantôme, des « Dieux » et de « Dieu », pour assurer

  1. Préface des Poèmes et Poésies. Paris, Dentu, 1855.