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CHAPITRE II

L’Éveil du Poète

On connaît « l’hypothèse de la statue » que Condillac mit à la mode au cours du XVIIIe siècle. Le philosophe imagine une « figure » de marbre dans laquelle il ouvre successivement toutes les portes des sens. Il débute par l’odorat. Il veut que sur les lèvres closes de la déesse marmoréenne on place une rose : « Ainsi, dit-il, son âme sera d’abord odeur de rose. Sa conscience d’elle-même sera le parfum, uniquement le parfum qu’on lui aura fait respirer. »

De cette sensation première à laquelle les autres sensations s’ajoutent, Condillac fait partir l’éducation du « moi ».

Certes, une telle hypothèse ne suffit plus à nous satisfaire sur le terrain philosophique, mais elle demeure une explication lumineuse et symbolique, de la formation d’une âme de poète.

Tel était le sentiment de Leconte de Lisle lui-même, il s’est expliqué sur ce sujet avec netteté : « Le premier soin de celui qui écrit en vers ou en prose, dit-il, doit être de mettre en relief le côté pittoresque des choses extérieures. »