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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

nom du Dieu d’Amour, se sont faits pourvoyeurs de supplices. Voici sous quelles couleurs le poète les aperçoit dès la première heure de leur vocation, quand ils sortent des solitudes des ermitages, pour se répandre sur le monde chrétien, et achever de saper les ruines du monde olympique et platonicien :


« Les hommes du désert sortent de leurs tombeaux
Hachés de coups de fouet, saignants, fougueux, farouches
Pleins de haine…
Leur âme est furieuse et leur face enflammée.
Monstres en haillons, pareils aux animaux
Impurs, qui vont toujours prophétisant les maux,
Qui, rongés de désir et consumés d’envie
Blasphèment la Beauté, la Lumière et la Vie… »


Le poète ne tient pas à être impartial : le moyen âge mystique, celui qui pria, et vécut penché sur les livres, il le laisse dans l’ombre. Il ne met en lumière que l’inquisiteur qui, la torche en mains allume les bûchers, brûle les villes, et le prophète de malheur qui condamne et maudit.


En effet si, dans son poème Hiéronymus, il a placé, l’un en face de l’autre, les deux esprits du Christianisme médiéval, c’est pour la joie d’immoler l’esprit de prière et de culture, à l’esprit de bataille. Devant le Chapitre, érigé en tribunal, Leconte de Lisle a couché à plat ventre, sur les dalles, le moine que ses frères veulent condamner. Ce pénitent a commis la faute de quitter le couvent pour aller battre les grands chemins. Il prétend qu’il s’est rendu à Rome, qu’il a prêché. Qu’a-t-il prêché ? Le vieil abbé Hiéronymus est inquiet de cette prédication autant que de cette fugue car,


......« … Qui méprise la règle
N’est qu’un oiseau piteux qui tente d’être un aigle…
Malheur à qui, brisant le joug divin, oublie
Que penser est blasphème et vouloir est folie…