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LA RELIGION

L’unique sagesse, c’est de croire, obéir et se taire :
Ramper en gémissant, la face contre terre,
Et s’en remettre à Dieu qui nous tient dans sa main…[1] »


Et le Révérend Abbé annonce au moine rebelle que l’In Pace l’attend pour lui donner l’occasion d’expier, et de racheter son âme.

Le lecteur, saisi, se demande quelle a pu être la faute de ce moine. A-t-il cédé à l’amour qui, malgré tout, se glisse entre les mailles des vœux ? A-t-il — péché plus grave encore — été séduit par ces nouveautés qui entraînent tant de chrétiens vers l’hérésie ? Devons-nous apercevoir en lui un de ces avertisseurs de la pensée moderne, tel un Arnaud de Brescia ou un Jean Huss, dont Leconte de Lisle dit, ailleurs, qu’ils sont morts du supplice réservé par Rome « aux précurseurs de la fraternité ? » A-t-il, reprenant la prédication d’Hypatie à Cyrille, osé affirmer que cette Église de Dieu, toute vermeille du sang des Saints Martyrs, s’éteindra à son tour, après tant d’autres lumières ?

Non ! Dans sa cellule, où ses frères épuisent leur foi muette en « d’inertes prières », le moine a eu cette vision : Jésus lui est apparu, non point comme le Maître de Miséricorde qui marche sur un fond de nuées pâles, dans un rayonnement d’amour, — mais dans un ciel noir traversé d’éclairs blêmes :


« Où tournoyaient, hagards, des spectres de blasphèmes…
Et je vis un rocher sans herbes et sans eaux
Où des milliers de morts avaient laissé leurs os,
Et qui montait du fond de l’abîme. À son faîte,
Le gibet, d’où pendait la Sainteté parfaite,
Se dressait dans la nue affreuse ; et, tout autour,
Les carnassiers de l’air, aigle, corbeau, vautour,
De la griffe et du bec, effroyables convives,
Du sacré Rédempteur déchiraient les chairs vives ![2] »


  1. « Hiéronymus ». Poèmes Tragiques.
  2. Ibid.