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LA CONCEPTION POLITIQUE

tion qu’est Leconte de Lisle, ne se forma jamais une idée de ce qu’on nomme « évolution » :

« … La nation française, écrit-il, était abêtie, tyrannisée depuis des siècles : ni lois, ni droits… Le Roi, la Noblesse, le Clergé possédaient la terre, les esprits et les corps. Le peuple tout entier travaillait et mourait sous le bâton, misérable, affamé, soumis à la plus abjecte servitude… »

Évidemment, le poète fait ici, une fois de plus, appel à ses souvenirs d’enfance. La France de l’Ancien Régime lui apparaît, sous la forme d’une « plantation » de son île, où, un mauvais maître, frappe et torture ses esclaves. On est forcé de convenir qu’un tel raccourci accuse trop de dédain, sinon pour la réalité des faits, du moins pour la façon dont ils se groupent selon les lois de cette force impérieuse, qui s’impose au développement des sentiments et des idées, comme à l’évolution de la vie végétale.

Quelques années plus tard, Leconte de Lisle devait être plus juste dans son discours de Réception à l’Académie française. On entend, de reste, que le souci de la mesure ne lui arracha pas, pour ce qui était, à ses yeux, essentiel, une concession ni une excuse :

« Les grands écrivains du XVIIIe siècle, déclara-t-il, avaient préparé et amené ce soulèvement magnifique des âmes, ce combat héroïque et terrible de l’esprit de Justice et de Liberté, contre le vieux despotisme et le vieux fanatisme. »

Ses Histoires populaires du Christianisme et de La Révolution avaient été, dans la pensée de Leconte de Lisle, des sortes de Préfaces, du Traité dans lequel il se réservait d’expliquer, à la jeunesse de son temps, par la pratique de quelles vertus peut être atteint cet idéal de la liberté, tant de fois aperçu, tant de fois éclipsé. Il était persuadé que « si tous les chemins mènent à Rome, un seul conduit à la République ». D’où, la nécessité de ne pas produire un livre de discussion théorique, mais d’écrire une sorte de « vade me-