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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

doit, pense-t-il, de chanter, en paroles sublimes, la beauté, la grandeur, l’harmonie du monde visible, comme les splendeurs pacifiques de l’humanité future. Et il ne veut pas reconnaître qu’il ne doit, sa magnifique conception du Beau, qu’à son propre génie, comme ses élans de bonté et de vaste indulgence, qu’à son propre cœur…[1] »

Dégagé de louanges, dont la sincérité est évidente, ce jugement enferme un certain nombre de critiques, qu’il suffit de mettre bout à bout pour dresser, en face des fluctuations de la pensée d’Hugo, la rigidité du parti pris philosophique où Leconte de Lisle a fini par se fixer. On sent qu’il est choqué de ce qu’il y a de « sentimental » dans les conceptions que Victor Hugo se forme du divin. Il lui en veut, de n’avoir pas su faire un choix, entre le panthéisme, qui le tente, et le vieux Dieu providentiel des Religions, qui donne « la grâce aux filles des riches » et « la force à leurs fils », parce qu’ils ont fait l’aumône à ces petits enfants qui ramassent, sous leurs pieds, les « miettes des orgies ». Il ne dissimule pas un sourire, un peu ironique, pour le dogme nouveau dont Hugo est l’instaurateur et qui veut mettre d’accord, la croyance en l’immortalité, avec la religion du néant, donnant ainsi une demi-satisfaction à tous les partis de la pensée.

D’autre part, si l’auteur du Dies Iræ reproche à Hugo d’avoir été un anthropomorphiste, d’avoir créé Dieu à sa propre image, de l’avoir déclaré généreux, parce que lui-même avait de la compassion dans le cœur ; bon, parce que son génie personnel le portait à l’universelle indulgence, Leconte de Lisle ne pardonne pas au « Maître », d’avoir « dédaigné la Science », et de s’être complu dans cette indifférence, de ce qui n’avait pas de rapport direct avec lui-même, où l’auteur de la Légende des Siècles vécut et mourut sereinement.

  1. 31 mars 1887.