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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

même pour celui qui s’est consumé dans sa contemplation. Cet aveu est monté une ou deux fois aux lèvres de Leconte de Lisle. Ce n’est point ce que l’on pourrait nommer sa doctrine officielle, ni son attitude extérieure, ce n’est pas davantage une défaillance comme cet « Eli lama sabactani » qui tomba, du haut de la Croix. C’est un acte d’ultime sincérité. Il donne tout son prix à ce qu’il y a de préoccupations philosophiques dans l’œuvre du poète, qui, aux limites du connu, que l’intelligence peut atteindre, réserve l’inconnu. Ce fut, sans doute, dans des sentiments analogues, que, Socrate mourant, recommanda, à ses disciples, de sacrifier un coq à Esculape !

L’étude scientifique que l’auteur de Bhagavat avait faite, de toutes les religions, lui avait rendu impossible d’adhérer à aucun dogme[1]. C’était là une raison de plus pour, qu’en dehors de représentations trop définies et égoïstes du divin, il cherchât à contrôler, de bonne foi, la valeur de cet instinct naturel, appuyé sur le témoignage de la conscience, qui fait désirer, à tout ce qui existe, de prolonger sa durée sur la terre, et qui incite l’homme à rechercher les causes premières et les causes finales de la vie, à demander une explication de la pensée et de la douleur.

Le poète savait, à présent, qu’il lui serait impossible d’entrer jamais, corps et âme, dans l’Olympe des Grecs, ou dans le Nirvana des Hindous, ou dans la Walhalla Scandinave, pour y vivre, en paix olympienne, dans la léthargie de la conscience morale, une existence de passions naturelles : trop de scrupules, de regrets, d’inquiétudes de l’au-delà, de soucis de bonté et de justice l’habitaient, le hantaient[2].

  1. Voir notre chapitre : La Conception du Divin.
  2. Il sentait persister profondément malgré lui, dans ses moelles, ces dispositions chrétiennes, qu’à travers les siècles, l’hérédité celtique lui avaient imposées. La pièce qui a pour titre : Le Runoïa contient à cet égard des confidences qui ont la sincérité d’une confession. Lui