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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Pour Leconte de Lisle, l’art est la révélation primitive de l’idéal, contenu dans la nature extérieure. Il sait que le poète doit réaliser sa vision interne dans la mesure de ses forces, par la combinaison complexe, savante, harmonique des lignes, des couleurs et des sons, non moins que par les ressources de la passion, de la réflexion, de la science et de la fantaisie. Il sent que toute œuvre de l’esprit, dénuée de ces conditions nécessaires de beauté sensible, ne peut être une œuvre d’art : « Ainsi, quoiqu’on en puisse prétendre, dit-il, la poésie, est un art qui s’apprend ; elle a ses méthodes, ses formules, ses arcanes, son contrepoint et son travail harmonique.[1] »

Quiconque ne satisfait pas à ces exigences, ne pourra, selon lui, être dit artiste ; le succès de ses productions, ni sa renommée n’y changeront rien.

Une conception si juste de l’art devait rejeter, de la façon la plus intransigeante, toutes les prétentions et toutes les réserves, qui risquaient de rétrécir le champ de cet idéal. Delà vient la cinglante ironie avec laquelle Leconte de Lisle a rallié les partisans de ce que, avec les Parnassiens, Flaubert en tête, appelaient : « l’art prêcheur ».

« … L’Art, écrivait-il, n’a pas mission de changer en or fin le plomb vil des âmes inférieures, de même que toutes les vertus imaginables sont impuissantes à mettre en relief ce côté pittoresque, idéal et réel, mystérieux et saisissant, des choses extérieures, de la grandeur et de la misère humaine…[2] » Et il proteste contre l’ardeur « indécente et ridicule du prosélytisme moral », de la manie qui veut transformer « en maximes, sentences et préceptes, l’œuvre de beauté. » Il ne pardonne pas à Barbier, d’avoir satisfait « à ce goût des vertueuses générations parmi lesquelles la nôtre tient la première place » ; il trouve que le poète satirique est un moraliste par

  1. Nain Jaune, 1864.
  2. Préface à Baudelaire, 1861.