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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ce ne fut point par hasard, mais de propos très délibéré que le nouvel élu demeura, à l’Académie, muet sur ces questions techniques. Il était là-dessus, de l’avis de Louis Ménard qui, au lendemain de la réception de son ami à l’Académie, écrivit, dans La critique philosophique, cette page dont la conclusion explique le silence du poète :

« Sous le rapport de la beauté des vers, on rend justice à Leconte de Lisle ou du moins on le croit ; mais on ajoute que cette beauté, toujours égale, est monotone. Rien n’est plus faux : sa forme est extrêmement variée et toujours appropriée au sujet. À côté de vers cyclopéens et martelés, à sonorités métalliques, comme dans Qaïn, il y a une foule de pièces légères, qui semblent des fils de la Vierge saupoudrés d’une poussière d’ailes de papillon. Il y a des créations rythmiques merveilleuses, avec des refrains diversifiés à la fin de chaque strophe, comme dans Les Étoiles ; La Véranda ; La Lampe du ciel. C’est, à la fois, une valse de Beethoven et un paysage de Van der Neer. Je ne connais rien de plus parfait dans notre langue. Mais c’est une perfection qui échappe à l’analyse : l’expliquer à ceux qui ne la sentent pas, ce serait perdre son temps, et ceux qui la sentent n’ont pas besoin qu’on la leur explique.[1] »

  1. 30 août 1887. — Presque à la même minute, M. Jules Lemaître écrivait : « … La forme des Poèmes antiques et des Poèmes Barbares, répond, exactement, au dessein que l’artiste a formé de voir et de peindre les choses par le côté plastique… Pas de ces mots flottants et de sens incertain, qui corrompent la clarté de la vision. Sauf de rares exceptions, les épithètes appartiennent à l’ordre physique, rappellent des sensations, expriment des contours et des couleurs. Il n’y a peut-être que la prose de Flaubert qui atteigne ce degré de précision dans le rendu. La versification, par sa régularité classique, ajoute encore a la netteté sereine de la forme. Elle exclut le rythme parfois saccadé de Hugo et le rythme souvent lâché de Banville… Peu de rejets. Le plus grand nombre des vers coupés après l’hémistiche. Çà et là une coupe romantique, la moins contestable, celle qui divise le vers en trois groupes équivalents de syllabes. Les périodes assez courtes pour qu’il soit très aisé d’en embrasser le dessin. Des arrangements de rimes simples : rimes plates, quatrains en rimes croisées ou embrassées, tierces rimes