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LA CONCEPTION DE L’ART

Une note manuscrite, classée dans les papiers du poète, a pour titre : De l’expression et de la forme poétique. Elle dit :

« On confond souvent la prosodie et le rythme. La prosodie est l’art de construire le vers ; la rythme résulte de l’entrelacement harmonique de plusieurs vers constituant la strophe. C’est par suite de cette confusion de termes que Victor Hugo passe pour un grand inventeur de rythmes bien qu’il n’en ait jamais inventé un seul : tous les rythmes dont il s’est servi appartiennent aux poètes du XVIe siècle. » Théodore de Banville, maître en la matière, et qui sacrifia souvent, sans hésiter, la pensée aux raffinements de la forme, écrivit à Leconte de Lisle après une lecture des Poèmes Tragiques :

« Devant de si hautes conceptions, faut-il oser louer l’invention des rythmes, de vos admirables Pantoum ? C’est comme un double chant, si l’on peut dire majeur et mineur. Une des pensées, une des idées, une des images, soutenant l’autre, comme un accompagnement.[1] »

On s’attendait à ce que, dans son Discours de réception à l’Académie française, Leconte de Lisle, fit une part importante à ces préoccupations professionnelles, et qu’il donnât la théorie d’un art qu’il avait porté à sa perfection. Il n’en fit rien. Alexandre Dumas se fit l’écho de cet unanime regret :

« J’aurais voulu, dit-il, vous voir entrer dans quelques détails sur les procédés de l’école nouvelle de versification, dont Victor Hugo a été et reste le chef, dont vous êtes le continuateur le plus autorisé, encore plus sévère que lui sur ces questions de césure, de rejet, d’enjambement, de rimes riches ou pauvres, avec ou sans consonnes d’appui, enfin sur toutes ces questions de technique et de prosodie qui font tant de bruit sur le nouveau Parnasse… »

  1. Théophile Gautier déclare à ce propos : « Leconte de Lisle possède un coin a son effigie avec lequel il frappe toute sa monnaie, qu’elle soit d’or, d’argent ou de bronze. » Histoire du Romantisme (1865).