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L’HOMME

C’est bien là le culte des demi-dieux et des héros surhumains, par l’admiration desquels, Carlysle, voulait relever le niveau des âmes ordinaires ; ainsi, la place où le poète est né devient, de son vivant même, un lieu de pèlerinage :

« Nous sommes très malheureux, ma femme et moi, écrit M. Frédéric Plessis : nous avions fait un rêve irréalisable, c’était d’aller, à Bourbon, voir les lieux où se sont passées vos premières années…[1] »

Le pauvre, charmant et enthousiaste Glatigny va plus loin. De Hambourg, il écrit au Maître, cette lettre sans date :

« Dites le bonjour à mes amis qui ont le bonheur devenir chez vous et à qui je pense souvent… J’ai acheté un petit buste d’Homère, pareil à celui que vous avez, et tous les samedis je le mets sur la commode. Les cheminées n’existent ici qu’à l’état de poêle. Vos livres aimés que je place autour me rappellent nos chères réunions de chaque semaine. Il me manque votre portrait. Le bon Carjat doit en avoir encore dans ses boîtes. Soyez assez bon pour en filouter un que vous m’enverrez. »

Ces marques d’admiration fervente et de tendresse de ceux qu’il considérait comme ses pairs ou comme les héritiers de sa tradition, étaient les seules récompenses auxquelles Leconte de Lisle fût attaché. Il s’étonnait qu’un poète put éprouver quelque fierté à recevoir, par exemple, sous la forme d’une décoration une « consécration officielle ». Au début de sa vie littéraire il avait retiré son admiration à Dumas père, parce que l’auteur des Trois Mousquetaires

    inconnu, cher Maître. Merci de nous donner encore de tels vers, qui nous soutiennent, réveillent en nous l’amour de la grande et noble poésie et nous la montrent comme un refuge… Je n’oublie pas l’extrême bienveillance que vous m’avez témoignée lorsque je vous ai lu mon poème. Je veux espérer que, lorsque je vous demanderai de lire vous-même La Vision, vous serez plus sévère, Je mets tout mon orgueil de poète à n’avoir droit à aucune indulgence. 25 mars 1884. »

  1. Mars 1838.