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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ce que Leconte de Lisle aimait par-dessus tout, dans les sites de son île montagneuse, c’est qu’on y trouvait des lieux sauvages, hospitaliers au rêve, où n’arrivaient ni le bruit de la mer, ni la rumeur des cités, où l’on pouvait « oublier »[1].

Aussi bien, lorsqu’un homme qui pense se met à prêter l’oreille aux voix qui montent de la création, il ne peut conserver longtemps sa sérénité. Parlant d’Hugo, Leconte de Lisle a écrit : « Chez lui, comme dans la légende orphique, l’herbe, l’arbre, la pierre, parlent, chantent, rêvent, souffrent, pleurent… » Le jeune créole entend, comme l’auteur des Contemplations, ces voix inarticulées. Et, très vite, elles arrivent à son oreille avec la sonorité d’un gémissement :


« Une plainte est au fond de la rumeur des nuits,
Lamentation large et souffrance inconnue
Qui monte de la terre et roule dans la nue ;
Soupir du globe errant dans l’éternel chemin,
Mais effacé toujours par le soupir humain.[2] »


Comment croire que la Nature qui souffre, ne compatit pas à la misère des hommes ? Il y a une heure dans la vie de Leconte de Lisle où il se rejette vers cette mère de l’humanité comme vers l’unique consolatrice. Il est las de souffrir, il est las de l’insuccès de ses efforts littéraires et humanitaires — une douleur d’enfant remonte en lui qui, pour se reposer, cherche un sein maternel. Alors il demande à cette Nature, qu’il a connue si berceuse, de verser à son inquiétude présente, le voluptueux engourdissement d’autrefois :


« Déroule encore, Soleil, ta robe glorieuse !
Montagne, ouvre ton sein plein d’arôme et de paix !
Soupirs majestueux des ondes apaisées,
Murmurez plus profonds en nos cœurs soucieux !


  1. « Le Bernica ». Poèmes Barbares.
  2. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.