Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Cette dernière proposition de la pensée brahmanique, qui nie l’âme individuelle, semble avoir été, entre toutes, chère à Leconte de Lisle. Elle suffirait à expliquer la ferveur spéciale avec laquelle il s’attacha à la doctrine bouddhique dès que, au cours de son étude philosophique et religieuse, il rencontra, sur le chemin de sa méditation, Bouddha, le Sage des Sages.

Avant Auguste Comte et l’école positive Bouddha avait donc apporté, à ses disciples — huit siècles avant Jésus-Christ — une religion sans rites et sans culte. Il voulait seulement contempler la souffrance humaine, chercher le moyen de l’alléger, peut-être de la guérir, et, s’il conservait, avec la religion qui l’a précédé un lien précis, c’est seulement la haine du « moi », de ce « moi haïssable » dont Leconte de Lisle s’appliqua toute sa vie, à bannir, de son œuvre, même le reflet.

Le poète estime qu’un peuple, raisonnable et heureux, aurait dû s’en tenir à cette suprême sagesse du Bouddhisme. Il voit avec mélancolie, une doctrine si haute périr dans son pays d’origine, étouffée sous une renaissance du Brahmanisme. Du moins, est-il traversé par cet éclair de joie spéciale, qui, à la fin de sa vie devait faire de lui un ennemi des religions, quand il constate que cette notion de l’Être unique est trop élevée pour que la masse, quelque affinée qu’elle paraisse, puisse la comprendre, l’accueillir. Il triomphe de ce que les néobrahmanes, aient dû recourir déjà, pour satisfaire la foi populaire, à la proclamation d’une « Trinité », dans laquelle se révèlent distinctement les aspects différents de l’Être Unique.

En effet, si, huit cents ans avant notre ère, les Védas réclamaient, pour quelques rares et grands esprits, le droit de s’affranchir de l’anthropomorphisme, de supprimer les rites et les sacrifices, le culte et le sacerdoce, de repousser les fantômes de la mythologie védique, pour faire consister la religion dans la pureté du cœur, dans la méditation, ils savaient une telle conception trop haute pour la foule des âmes.