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L’INDE

Ils acceptaient que le peuple se livrât, tantôt à l’adoration émerveillée de Vichnou, — sous la forme du Dieu gracieux, souriant, couronné de rayons qui veut soulager la douleur humaine — tantôt au culte épouvanté de Siva — image du Dieu féroce, hideux, au dos rouge, au ventre noir, grinçant des dents, qui suspend des crânes à ses épaules, et, perpétuellement, broie la vie.

On a dit à satiété que les religions sont un vêtement populaire, dont la pensée philosophique se drape pour se faire visible. À l’exemple des sages de l’Inde, qui ont revêtu de chants toute leur doctrine. Leconte de Lisle estimait que la poésie offre, elle aussi, au penseur, l’occasion de faire apercevoir, à travers des symboles de beauté, les rêves, que la majorité, même lettrée des hommes, ne peut atteindre dans leur essence. Il avait à cœur de dégager de la confusion des mythes hindous la personnalité et la pensée de Vichnou. Il voulait découvrir, à ceux qui le liraient avec réflexion, l’idée vraiment philosophique du divin dont ce Dieu, à l’aspect trinitaire, est l’essence[1].

De cette préoccupation du poète est sortie la pièce de vers qui a pour titre : Bhagavat. Leconte de Lisle y débarrasse l’image sacrée de Vichnou des légendes populaires, qui l’entourent comme des lianes. Il en dégage la doctrine.

D’une part, elle commande, au fidèle, de mourir au monde pour revivre en Dieu ; de chasser de son âme toutes les passions, afin de ne plus être affecté ni des biens ni des maux, pour marcher vers la halte divine : le repos en Brahma.

D’autre part, elle demeure persuadée de la nécessité de l’action. Le poète français met en lumière cette préoccupa-

  1. On lit dans la partie du Mahabharata qui s’intitule la Bhagavat-Gita (Le chant du Bienheureux) un hymne d’extase et de consolation que le poète hindou composa lorsqu’il eut pris conscience de l’identité de son âme avec l’âme divine. L’âme humaine n’est, ici, qu’une des apparences de l’âme universelle, la sagesse est donc de rentrer, dès cette vie terrestre, dans la vie divine : c’est, là le but du Yoga et le sens de toute la philosophie hindoue.