Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/48

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Mais si rien ne répond dans l’immense étendue,
Que le stérile écho de l’éternel Désir,
Adieu, déserts, où l’âme ouvre une aile éperdue.
Adieu, songe sublime, impossible à saisir !

Et toi, divine Mort, où tout rentre et s’efface.
Accueille tes enfants dans ton sein étoile ;
Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé[1] !


S’il eût plus longtemps vécu, Leconte de Lisle eût certes fini, dans cette inquiétude trop forte, par lever de dessus son visage le voile qui le cachait et qu’il souleva seulement pour quelques-uns. Ce n’est donc point le trahir, mais bien plutôt servir pieusement sa mémoire, c’est le montrer tel qu’il souhaitait qu’on le connût un jour, tel qu’il aurait voulu se dépeindre dans un Testament philosophique, qu’il n’eut pas le temps d’écrire, que de citer cette pièce du Sacrifice, qu’il composa l’année même de sa mort, et dans laquelle il dit, en oubli de ses préceptes parnassiens, son admiration pour la beauté morale, supérieure à toutes les splendeurs plastiques. Ce n’était plus le poète qui parlait à cette minute, c’était l’homme même : une des âmes les plus hautes que notre génération ait connues, un héros qui, dans le secret, avait lui-même accompli ce sacrifice méritoire dont il dit la vertu dans son suprême chant.

Rien ne vaut, sous les deux, l’éclatante liqueur,
Le sang sacré, le sang triomphal que la vie,
Pour étancher sa soif toujours inassouvie,
Nous verse à flots brûlants qui jaillissent du cœur.

  1. Dies iræ (Poèmes antiques).