Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/58

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mon petit père, que pensez-vous d’une pareille question ? Y a-t-il du bon sens ? Moi, je lui réponds fort judicieusement : « C’est le bon Dieu qui m’a fait ainsi, Foma Fomitch ; l’un est gros, l’autre maigre et l’on ne doit pas se révolter contre la Providence. » Je crois que c’était assez judicieux ? « Non, me dit-il, tu possèdes cinq cents âmes, tu vis de tes rentes et tu ne rends aucun service à la patrie ; au lieu de travailler, tu restes chez toi à jouer de l’accordéon. » Il est vrai qu’en mes jours de tristesse, je joue de l’accordéon. Je lui fais cette réponse sensée : « Quel service pourrais-je accomplir, Foma Fomitch ? Quel uniforme pourrait me contenir avec mon ventre ? Admettons que je parvienne à endosser mon uniforme et à le boutonner en me sanglant, mais, si j’ai le malheur d’éternuer, par hasard, tous les boutons sauteront ; et si cet accident arrivait devant les chefs qui peuvent très bien le prendre pour une mauvaise plaisanterie, Dieu me bénisse ! que m’arriverait-il ? » Qu’y a-t-il de ridicule là-dedans ? Le voilà qui se met à se tordre… Non, vous savez, il n’a pas la moindre pudeur ! Et il commence à m’insulter en français : « Cochon ! me dit-il. Cochon, je sais ce que ça veut dire. « Ah ! maudit physicien, pensai-je, tu me prends pour un imbécile ? » J’avais