Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/59

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longtemps patienté, mais j’étais à bout de forces. Je me lève de table, et, devant tout le monde, je lui envoie ceci par la figure : « Excuse-moi, Foma, mon cher bienfaiteur, je t’avais pris pour un homme bien élevé, mais tu es encore plus cochon que nous tous ! » Je lui flanque ça par la figure et je quitte la table comme on apportait le pudding. Mais au diable le pudding !

— Je vous demande pardon, fis-je quand M. Bakhtchéiev eut fini son récit. Je partage certainement votre avis sur tout ce que vous venez de me dire. Seulement, je ne sais encore rien de positif… mais, j’ai là-dessus quelques idées à moi.

— Quelles idées, petit père ? demanda Bakhtchéiev d’un air soupçonneux.

— Voilà, commençai-je en m’embrouillant un peu, le moment est peut-être mal choisi, mais je suis prêt à vous les développer. Je pense qu’il se peut que nous nous trompions tous les deux sur le compte de Foma Fomitch et que toutes ces bizarreries cachent une nature exceptionnellement douée, qui sait ? C’est peut-être un de ces cœurs douloureux brisés par la souffrance, et aigris contre toute l’humanité. J’ai entendu dire que, jadis, il avait fait le bouffon ; il est possible que les humiliations et les outrages dont il fut abreuvé