Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/22

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Pétrovna a demandé pardon à Dounia, et ces jours derniers elle est morte subitement. C’est d’elle que ma mère parlait tantôt. Je ne sais pourquoi, j’ai grand’peur de cet homme. Il est fort étrange et a quelque résolution fermement arrêtée. On dirait qu’il sait quelque chose… Il est arrivé ici aussitôt après l’enterrement de sa femme… Il faut protéger Dounia contre lui… Voilà ce que je voulais te dire, tu entends ?

— La protéger ! Que peut-il donc contre Avdotia Romanovna ? Allons, je te remercie, Rodia, de m’avoir dit cela… Nous la protégerons, sois tranquille !… Où demeure-t-il ?

— Je n’en sais rien.

— Pourquoi ne le lui as-tu pas demandé ? C’est fâcheux ! Du reste, je le reconnaîtrai !

— Tu l’as vu ? questionna Raskolnikoff après un certain silence.

— Eh, oui, je l’ai remarqué très-bien remarqué.

— Tu en es sûr ? Tu l’as vu distinctement ? insista Raskolnikoff.

— Sans doute, je me rappelle son visage et je le reconnaîtrai entre mille, j’ai la mémoire des physionomies.

Ils se turent de nouveau.

— Hum… tu sais…je pensais… il me semble toujours… que je suis peut-être dupe d’une illusion, balbutia Raskolnikoff.

— À propos de quoi dis-tu cela ? Je ne te comprends pas très-bien.

— Voici, poursuivit Raskolnikoff avec une grimace qui voulait être un sourire : vous dites tous que je suis fou, eh bien, tout à l’heure l’idée m’était venue que vous aviez peut-être raison et que j’avais seulement vu un spectre.

— Quelle supposition !

— Qui sait ? peut-être suis-je fou en effet, et tous les événements de ces jours derniers n’ont-ils eu lieu que dans mon imagination.