Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

négliger, au début, votre maladie. Vous auriez dû consulter un médecin expérimenté, au lieu de vous faire traiter par ce gros Zosimoff !… Tout cela est, chez vous, l’effet du délire !…

Pendant un instant, Raskolnikoff crut voir tous les objets tourner autour de lui. « Est-il possible qu’il mente encore en ce moment ? » se demandait-il. Et il s’efforçait de bannir cette idée, pressentant à quel excès de rage folle elle pourrait le pousser.

— Je n’étais pas en délire, j’avais toute ma raison ! cria-t-il, tandis qu’il mettait son esprit à la torture pour tâcher de pénétrer le jeu de Porphyre. J’avais toute ma raison, entendez-vous ?

— Oui, je comprends et j’entends. Vous avez déjà dit hier que vous n’aviez pas le délire, vous avez même insisté particulièrement sur ce point ! Je comprends tout ce que vous pouvez dire ! hé ! hé !… Mais permettez-moi de vous soumettre encore une observation, mon cher Rodion Romanovitch. Si, en effet, vous étiez coupable ou que vous ayez pris une part quelconque à cette maudite affaire, je vous le demande, est-ce que vous soutiendriez que vous avez fait tout cela non en délire, mais en pleine connaissance ? À mon avis, ce serait tout le contraire. Si vous sentiez votre cas véreux, vous devriez précisément soutenir mordicus que vous avez agi sous l’influence du délire ! Est-ce vrai ?

Le ton de la question laissait soupçonner un piège. En prononçant ces derniers mots, Porphyre s’était penché vers Raskolnikoff ; celui-ci se renversa sur le dossier du divan et, silencieusement, regarda son interlocuteur en face.

— C’est comme pour la visite de M. Razoumikhine. Si vous étiez coupable, vous devriez dire qu’il est venu chez moi de lui-même et cacher qu’il a fait cette démarche à votre instigation. Or, loin de cacher cela, vous affirmez au contraire que c’est vous qui l’avez envoyé !