Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quer la conduite de Nicolas, sentant qu’il y avait là-dessous un mystère dont, pour le moment, il chercherait en vain la clef. Du reste, il ne se faisait pas d’illusions sur les suites probables de l’incident : les aveux de l’ouvrier ne tarderaient pas à être reconnus mensongers, et alors les soupçons se porteraient de nouveau sur lui, Raskolnikoff. Mais, en attendant, il était libre et il devait prendre ses mesures en prévision du danger qu’il jugeait imminent.

Jusqu’à quel point, toutefois, était-il menacé ? La situation commençait à s’éclaircir. Le jeune homme frissonnait encore en se rappelant son entretien de tout à l’heure avec le juge d’instruction. Sans doute il ne pouvait pénétrer toutes les intentions de Porphyre, mais ce qu’il en devinait était plus que suffisant pour lui faire comprendre à quel terrible péril il venait d’échapper. Un peu plus, et il se perdait sans retour. Connaissant l’irritabilité nerveuse de son visiteur, le magistrat s’était engagé à fond sur cette donnée et avait trop hardiment découvert son jeu, mais il jouait presque à coup sûr. Certes Raskolnikoff ne s’était déjà que trop compromis tantôt, cependant les imprudences qu’il se reprochait ne constituaient pas encore une preuve contre lui ; cela n’avait qu’un caractère relatif. Ne se trompait-il pas, toutefois, en pensant ainsi ? Quel était le but visé par Porphyre ? Celui-ci avait-il réellement machiné quelque chose aujourd’hui, et, s’il y avait un coup monté, en quoi consistait-il ? Sans l’apparition inattendue de Nicolas, comment cette entrevue aurait-elle fini ?

Raskolnikoff était assis sur le divan, les coudes sur ses genoux et la tête dans ses mains. Un tremblement nerveux continuait à agiter tout son corps. À la fin, il se leva, prit sa casquette et, après avoir réfléchi un moment, se dirigea vers la porte.

Il se disait que, pour aujourd’hui du moins, il n’avait rien à craindre. Tout à coup, il éprouva une sorte de joie : l’idée