Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/253

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on pourrait écrire un livre entier ! Mais vous connaissez tout cela si bien, messieurs, de par vos expériences agréables, qu’à mon avis il n’est point besoin d’écrire ce livre. Une autre idée m’est venue, c’est qu’à Pétersbourg on dépense énormément. Il serait curieux de savoir s’il y a beaucoup de gens à Pétersbourg qui ont suffisamment d’argent pour tout ; c’est-à-dire des gens tout à fait à leur aise, comme on dit. Je ne sais pas si j’ai raison, mais je me suis toujours représenté Pétersbourg comme le benjamin gâté d’un père très respectable, homme du temps jadis, riche, large, très raisonnable et très débonnaire. Le père s’est enfin retiré des affaires, s’est installé à la campagne, tout heureux de pouvoir porter un veston de nankin, sans violer les convenances. Mais le fils est resté dans le monde ; le fils doit apprendre toutes les sciences ; il doit être un jeune Européen ; et le père, bien qu’il ne connaisse l’instruction que par ouï-dire, désire vivement que son fils soit le jeune homme le plus instruit. Le fils saisit immédiatement les choses les plus superficielles, s’achète un costume européen, porte l’impériale, et le père, sans remarquer que le fils a tout de même une tête et veut vivre et qu’à vingt ans il a plus appris par expérience que lui pendant toute sa vie, le père, horrifié, ne voyant que l’impériale, voyant le fils puiser sans compter dans sa large poche, remarquant enfin que le fils est très indépendant, grogne, se fâche, accuse l’instruction et l’occidentalisme et, principalement, est furieux que « l’œuf veuille instruire la poule ». Mais le fils veut vivre et il y met tant de hâte qu’on réfléchit malgré soi à son jeune élan. Sans doute il dépense assez gaillardement.