Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rêveurs qui fêtent l’anniversaire de leurs sensations fantastiques. Ils ont noté les dates des mois où ils furent particulièrement heureux, où leur fantaisie joua de la façon la plus agréable. S’ils se sont promenés dans telle ou telle rue, ou s’ils ont lu tel ou tel livre, ou vu telle ou telle femme, alors, le jour anniversaire de leur impression, ils tâchent de répéter la même chose se souvenant, jusque dans les moindres détails, de leur bonheur pourri, impuissant. Est-ce qu’une vie pareille n’est pas une tragédie, une chose épouvantable ; n’est-ce pas une caricature et est-ce que nous tous ne sommes pas plus ou moins des rêveurs ?...

La vie à la campagne, pleine d’impressions extérieures, la nature, le mouvement, le soleil, la verdure et les femmes, qui en été sont si jolies, si bonnes, tout cela est extrêmement utile pour le Pétersbourg malade, bizarre et morne où la jeunesse se perd si vite, où les espoirs se fanent si promptement, où la santé se ruine si rapidement, où l’homme se transforme en si peu de temps. Le soleil, chez nous, est un hôte si rare ; la verdure une chose si précieuse et nous sommes si habitués à nos coins d’hiver que les nouvelles habitudes, les changements de lit et de vie ne peuvent ne point agir sur nous de la façon la plus bienfaisante. Et la ville est si somptueuse et si vide ! Bien qu’il y ait des originaux à qui elle plaise l’été plus qu’à toute autre époque. Et puis notre pauvre été est si court. On ne remarque même pas comment les feuilles deviennent jaunes, les dernières rares fleurs disparaissent, l’humidité et le brouillard arrivent ; et, de nouveau, s’installe l’automne malsain, s’ébranle la vie. Perspective désagréable, du moins pour le moment.