Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/266

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capricieux de la douce rêverie mystérieuse. Dans la rue, il marche tête baissée, faisant peu attention aux passants, parfois aussi oubliant tout à fait la réalité. Mais, s’il remarque quelque chose, c’est la petite chose la plus banale, et ce qu’il y a de plus insignifiant, de plus ordinaire, aussitôt, prend en lui une couleur fabuleuse ; son regard est déjà fait ainsi qu’il voit en tout des choses fantastiques. Un volet clos, au milieu de la journée, une vieille femme estropiée, un homme qui marche à sa rencontre en agitant les bras et parlant à haute voix – comme il y en a beaucoup dans les rues –, un tableau de famille à la fenêtre d’une pauvre maison de bois, tout cela c’est pour lui presque comme des aventures.

L’imagination est montée. Tout de suite naît une histoire nouvelle ou un roman... Parfois, la réalité produit une impression pénible, hostile sur le cœur du rêveur et il se hâte de s’enfermer dans son cher petit coin doré qui, en réalité, est souvent empoussiéré, sale, et en désordre. Peu à peu notre rêveur commence à s’éloigner des gens, des intérêts communs et, imperceptiblement, le sentiment de la vie commune s’émousse en lui. Il lui paraît naturel que les plaisirs que lui procure sa fantaisie soient plus complets, plus beaux, plus charmants que ceux de la vie réelle. Enfin, dans son égarement, il perd tout à fait ce flair moral grâce auquel l’homme est capable d’apprécier la beauté de la réalité, et il laisse échapper les moments de bonheur véritable. Dans son apathie, les mains paresseusement jointes, il ne veut pas savoir que la vie humaine est la contemplation perpétuelle de soi-même dans la nature et la réalité. Il y a même des