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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

êtes bien bon de sauver notre petite demoiselle. Seulement, ne le lui dites pas, elle est fière ! »

Eh bien quoi ? fière ! moi j’aime les petites qui sont fières ! Les fières sont particulièrement belles quand… on ne peut plus douter de son pouvoir sur elles. Homme vil que j’étais ! mais comme j’étais content ! Mais il m’était passé par la tête une drôle de pensée pendant qu’elle hésitait encore, debout près de la porte : Eh ! songeais-je, si pourtant elle en était à se dire à elle-même : « De deux malheurs mieux vaut choisir le pire. J’aime mieux prendre le gros boutiquier. Il se saoule, tant mieux ! Dans une de ses ribotes, il me tuera bientôt ! » Hein ? Croyez-vous qu’elle ait pu avoir une idée de ce genre ?

À présent je me le demande encore. Quel était le plus mauvais parti pour elle ? moi ou le boutiquier ? L’épicier ou le prêteur sur gages qui citait Goethe ? Et c’est une question !

Comment, une question ! La réponse est là, sur la table, et tu dis : une question ? Et à propos, de qui s’agit-il actuellement, de moi ou d’elle ? Eh ! je crache sur moi !… Je ferais mieux de me coucher. La tête me fait mal !

III


LE PLUS NOBLE DES HOMMES… MAIS JE NE LE CROIS PAS MOI-MÊME…


Je n’ai pas fermé l’œil. Et comment dormir quand on a quelque chose qui vous bat dans la tête comme un marteau. L’envie me prend de faire un tas de toute cette boue que je remue. Ô cette boue ! Mais il n’y a pas à dire, c’est aussi de la boue que je l’ai tirée, la malheureuse ? Elle aurait dû le comprendre et m’en avoir quelque reconnaissance !… Il est vrai qu’il y avait autre chose pour moi, là-dedans, que l’attrait de faire une bonne action. J’avais