Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/152

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à ce degré d’irritation où l’homme, se complaisant, pour ainsi dire, dans sa colère, s’y abandonne sans aucune retenue et avec une satisfaction croissante, quelles qu’en doivent être les conséquences. Le prince, qui était déjà près de la porte, se retourna pour répondre ; mais le visage affolé de son insulteur lui prouva qu’il ne manquait plus que cette goutte pour faire déborder le vase ; aussi crut-il devoir se retirer sans rien dire. Lui parti, la discussion reprit son cours, plus bruyante et plus animée que jamais.

Pour regagner sa chambre, le prince devait traverser la salle, puis la pièce d’entrée, et ensuite s’engager dans le corridor. Arrivé dans l’antichambre, il s’aperçut, en passant devant la porte de sortie, que quelqu’un faisait tous ses efforts pour sonner ; mais assurément il était survenu un accident à la sonnette, car elle s’agitait sans rendre aucun son. Le prince ôta le verrou, ouvrit la porte et recula d’étonnement ; un frisson même parcourut tous ses membres : devant lui se trouvait Nastasia Philippovna. Il la reconnut immédiatement d’après son portrait. À la vue de Muichkine, la colère étincela dans les yeux de la visiteuse ; elle entra vivement dans l’antichambre en poussant le prince d’un coup d’épaule et dit d’une voix irritée, tandis qu’elle se débarrassait de sa pelisse :

— Si tu es trop paresseux pour raccommoder la sonnette, tu devrais du moins rester dans l’antichambre pour ouvrir quand on frappe. Allons, voilà que maintenant il a laissé tomber ma pelisse ! Quel lourdaud !

La pelisse, en effet, était par terre. Nastasia Philippovna, au lieu d’attendre qu’on la lui ôtât, s’en était dépouillée elle-même, puis, sans regarder, l’avait jetée derrière elle au prince, qui n’avait pas su la saisir au vol.

— Tu mérites d’être mis à la porte. Va m’annoncer !

Le prince voulut parler, mais son trouble était tel qu’il ne put proférer un mot ; tenant toujours dans ses mains la pelisse qu’il venait de ramasser, il se dirigea vers le salon.

— Eh bien ! voilà qu’à présent il s’en va avec la pelisse !