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L’idiot



PREMIÈRE PARTIE


I

C’était à la fin de novembre ; par un temps de dégel, humide et brumeux, le train de Varsovie arrivait à toute vapeur à Pétersbourg. Le brouillard était tel qu’à neuf heures du matin on voyait à peine clair ; à droite et à gauche de la voie ferrée il était difficile d’apercevoir quelque chose par les fenêtres du wagon. Dans le nombre des voyageurs, il y en avait bien quelques-uns qui revenaient de l’étranger, mais les voitures les plus remplies étaient celles de troisième classe, et les gens de peu qui les occupaient ne venaient pas de fort loin. Tous étaient fatigués, transis ; tous avaient les yeux appesantis par une nuit d’insomnie ; le brouillard mettait une pâleur jaunâtre sur tous les visages.

Depuis l’aurore, dans un des compartiments de troisième classe, se trouvaient assis en face l’un de l’autre, près de la même fenêtre, deux voyageurs, — tous deux jeunes, tous deux vêtus sans élégance, tous deux porteurs de physionomies assez remarquables, tous deux, enfin, désireux d’entrer en conversation ensemble. Si chacun d’eux avait su ce que