Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/78

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d’assurer son avenir, il lui offrait une somme de soixante-quinze mille roubles. Il ajouta en manière d’explication que déjà auparavant il était décidé à lui léguer cet argent ; il ne s’agissait pas ici d’une indemnité… et, enfin, pourquoi ne pas admettre et excuser chez lui le désir bien naturel de soulager quelque peu sa conscience, etc., etc., tout ce qu’on a coutume de dire en pareil cas. Afanase Ivanovitch parla longtemps et avec éloquence ; en passant il glissa une affirmation curieuse : c’était, assura-t-il, la première fois qu’il soufflait mot de ces soixante-quinze mille roubles ; jusqu’alors ni Ivan Fédorovitch lui-même, ni personne n’avait eu connaissance de cela.

La réponse qui fut faite à ces ouvertures étonna les deux amis.

Le langage de Nastasia Philippovna n’offrit pas la moindre trace de cette animosité violente, de cette raillerie haineuse dont le souvenir seul donnait encore le frisson à Totzky. Au contraire, la jeune femme parut contente de pouvoir enfin causer amicalement et à cœur ouvert avec quelqu’un. Elle avoua que depuis longtemps elle-même désirait demander un conseil d’ami ; l’orgueil seulement l’avait empêchée de le faire ; mais, maintenant que la glace était rompue, elle en était bien aise. Avec un sourire d’abord triste, mais qui ensuite finit par s’égayer, elle déclara qu’en tout cas il ne pouvait plus y avoir de tempête comme autrefois ; que depuis longtemps déjà ses façons de voir s’étaient en partie modifiées, et que, si son cœur n’avait pas changé, du moins elle sentait la nécessité de tenir compte des événements accomplis ; ce qui était fait était fait, ce qui était passé était passé ; aussi trouvait-elle étrange l’inquiétude persistante d’Afanase Ivanovitch. Puis, se tournant d’un air très-respectueux vers Ivan Fédorovitch, elle lui dit que depuis longtemps déjà elle avait beaucoup entendu parler de ses filles, qu’elle éprouvait pour elles une estime sincère et profonde. La seule pensée qu’elle pourrait leur être de quelque utilité la rendrait heureuse et fière. C’était vrai que sa situation actuelle lui pesait et qu’elle s’ennuyait fort ; Afanase