Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/79

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Ivanovitch avait deviné ses rêves ; elle aurait voulu renaître, sinon dans l’amour, du moins dans la famille, et trouver un but à sa vie ; mais, en ce qui concernait Gabriel Ardalionovitch, elle ne pouvait pas dire grand’chose. À la vérité, il paraissait l’aimer ; elle sentait qu’elle-même pourrait le payer de retour si elle parvenait à se convaincre de la solidité de son attachement ; mais, à supposer qu’il fût sincère, il était bien jeune, cette considération la faisait hésiter. Du reste, ce qui lui plaisait le plus dans Gabriel Ardalionovitch, c’est qu’il travaillait et qu’il soutenait seul toute sa famille. Elle avait entendu dire qu’il était énergique, fier, décidé à faire son chemin ; elle savait aussi que Nina Alexandrovna Ivolguine, sa mère, était une femme excellente et des plus respectables ; que Barbara Ardalionovna, sa sœur, était une jeune fille très-remarquable, une personne d’un caractère énergique ; Ptitzine lui avait beaucoup parlé de cette dernière. D’après ce qu’on lui avait dit, ces deux femmes supportaient vaillamment leur malheur ; elle aurait bien désiré les connaître, mais c’était encore une question de savoir si elles la recevraient volontiers dans leur famille. En somme, Nastasia Philippovna n’élevait pas d’objections contre la possibilité de ce mariage ; toutefois cela demandait réflexion et elle désirait qu’on ne la pressât point. Quant aux soixante-quinze mille roubles, — Afanase Ivanovitch aurait pu en parler sans tant de précautions oratoires. Elle comprenait elle-même le prix de l’argent, et sans doute elle accepterait la somme qui lui était offerte. Elle savait gré à Afanase Ivanovitch de la délicatesse dont il avait fait preuve en taisant la chose, non pas seulement à Gabriel Ardalionovitch, mais au général lui-même ; pourquoi cependant cacher cela au jeune homme ? Elle n’avait pas à rougir de cet argent en entrant dans la famille Ivolguine. En tout cas, elle était décidée à ne demander aucun pardon à personne et elle voulait qu’on le sût. Elle n’épouserait Gabriel Ardalionovitch qu’après s’être assurée que ni lui ni les siens ne nourrissaient aucune arrière-pensée en ce qui la concernait. Comme, après tout,