Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/87

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n’êtes pas, à beaucoup près, aussi… original qu’on me l’avait dit en m’annonçant votre visite. Venez, asseyez-vous ici, vis-à-vis de moi, poursuivit la générale quand on arriva dans la salle à manger, et elle indiqua une place au prince, — je veux vous avoir sous les yeux. Alexandra, Adélaïde, ayez soin du prince. N’est-ce pas qu’il est loin d’être si… malade ? Peut-être même la serviette n’est-elle pas nécessaire… Prince, est-ce qu’on vous noue une serviette sous le menton quand vous êtes à table ?

— Je crois qu’on le faisait autrefois, lorsque j’avais sept ans ; mais maintenant, quand je mange, je déploye ma serviette sur mes genoux.

— C’est ainsi qu’il faut faire. Et les accès ?

— Les accès ? répéta le prince un peu étonné : — à présent ils sont assez rares chez moi. Du reste, je ne sais pas ; on dit que le climat de la Russie me sera nuisible.

Élisabeth Prokofievna continuait à incliner la tête après chaque parole prononcée par le visiteur.

— Il parle bien, fit-elle observer à ses filles ; — j’en suis même surprise. Ainsi, ce n’étaient que des fadaises et des mensonges, comme toujours. Mangez, prince, et racontez-nous votre existence : où êtes-vous né ? où avez-vous été élevé ? Je veux tout savoir ; vous m’intéressez extrêmement.

Le prince remercia, et, tout en mangeant avec beaucoup d’appétit, il recommença le récit qu’il avait dû faire plusieurs fois déjà dans cette matinée. La générale était de plus en plus satisfaite. Les demoiselles écoutaient aussi avec assez d’attention. On rechercha si l’on était parents. Le prince connaissait assez bien la série de ses ascendants, mais on eut beau conférer les tables généalogiques, il se trouva qu’entre lui et la générale la parenté était presque nulle. Les grands-pères et les grands-mères auraient encore pu, à la rigueur, cousiner ensemble. Cette aride conversation plut fort à la générale, qui aimait beaucoup à parler de ses ancêtres, mais n’avait presque jamais l’occasion de le faire. Aussi était-elle de très-bonne humeur quand elle quitta la table.