Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

respectais pas en vous la femme, répliqua aussitôt Kolia, — et si, en outre, je n’étais pas retenu par le respect de mes principes, je vous prouverais immédiatement que je sais répondre à une pareille insulte. » Mais, au bout du compte, Kolia partit, enchanté, avec le hérisson, et Kostia Lébédeff le suivit. La colère d’Aglaé se dissipa vite ; voyant que Kolia agitait trop violemment la corbeille qui contenait le hérisson elle lui cria de la terrasse, comme si elle ne venait pas d’avoir une querelle avec lui : « Je vous en prie, cher Kolia, prenez garde de le laisser tomber ! » Kolia ne parut pas non plus lui avoir gardé rancune, car il s’arrêta et répondit avec le plus grand empressement : « Non, je ne le laisserai pas tomber, Aglaé Ivanovna, n’ayez pas peur ! » après quoi, il reprit sa course. Aglaé éclata de rire, et, fort contente, remonta vivement dans sa chambre. Pendant tout le reste de la journée sa gaieté ne s’est pas démentie. »

Ces nouvelles bouleversèrent Élisabeth Prokofievna ; le hérisson surtout la rendit perplexe. Que signifiait ce hérisson ? Qu’y avait-il là-dessous ? C’était un signe convenu, n’est-ce pas ? Un télégramme ? Le pauvre Ivan Fédorovitch, qui, par hasard, se trouvait là lorsque sa femme posait anxieusement ces questions, ne fit par sa réponse que verser de l’huile sur le feu. Selon lui, il n’y avait pas ombre de télégramme dans cet envoi, le hérisson était tout bonnement un hérisson, et, s’il signifiait quelque chose, ce ne pouvait être qu’amitié, oubli des injures, réconciliation ; bref tout cela n’était qu’une gaminerie, au demeurant innocente et pardonnable.

Nous noterons entre parenthèses que le général avait deviné juste. Rentré chez lui après s’être vu bafoué et mis à la porte par Aglaé, le prince était depuis une demi-heure plongé dans le plus sombre désespoir lorsque Kolia arriva tout à coup avec le hérisson. Aussitôt les nuages se dissipèrent, le prince fut comme ressuscité d’entre les morts ; il interrogeait Kolia, buvait avidement chaque parole de son jeune ami, lui faisait répéter dix fois les mêmes choses,