Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/366

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des compliments qui excitèrent en elle une profonde indignation. On se sépara en amis. Après qu’il eut quitté le prince, le docteur dit à Lébédeff : « Si l’on met de pareilles gens en curatelle, où donc ira-t-on chercher les curateurs ? » Lébédeff ayant allégué d’un ton tragique le mariage que le prince allait faire, son interlocuteur hocha malicieusement la tête et répliqua que de tels mariages n’étaient pas chose si rare ; sans parler de cela, la personne, d’après ce qu’il avait entendu dire, était séduisante et d’une beauté extraordinaire, ce qui suffisait pour expliquer l’entraînement d’un homme ayant de la fortune ; en outre, grâce aux libéralités de Totzky et de Rogojine, elle possédait des capitaux, des perles, des diamants, des châles, des meubles ; par conséquent ce n’était pas un mauvais parti : bref, aux yeux du docteur, un pareil choix, loin d’être un indice de stupidité, dénotait au contraire chez le cher prince une intelligence très-déliée, très-calculatrice et très-pratique…. Cette idée frappa Lébédeff ; il s’y arrêta définitivement et termina sa confession présente en assurant au prince que, désormais, il était prêt à verser tout son sang pour lui.

Durant ces derniers jours, Muichkine fut aussi plus d’une fois distrait de ses préoccupations par Hippolyte, qui l’envoyait chercher fort souvent. Les Térentieff habitaient une petite maisonnette située non loin de la villa de Lébédeff. À la campagne, les petits enfants, le frère et la sœur d’Hippolyte, avaient moins à souffrir de son mauvais caractère, car ils pouvaient se sauver au jardin, mais la pauvre kapitancha restait l’esclave, la victime de son fils. Chaque jour le prince devait mettre la paix entre eux ; ce rôle de réconciliateur lui attirait le mépris du malade, qui, en même temps, continuait à l’appeler sa « niania ». Hippolyte se plaignait beaucoup de Kolia, parce que ce dernier, retenu d’abord auprès du cadavre de son père, puis auprès de sa mère veuve, avait dû forcément négliger son ami. À la fin, Hippolyte se mit à plaisanter sur le prochain mariage du prince avec Nastasia Philippovna ; ses railleries devinrent même si blessantes que Muichkine,