Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/367

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piqué au vif, cessa de l’aller voir. Deux jours après, madame Térentieff vint un matin trouver le prince et le supplia, les larmes aux yeux, de faire visite à son fils : « Autrement, dit-elle, il me mangera. » Elle ajouta qu’il voulait révéler un grand secret. Le prince céda aux sollicitations de la kapitancha. Hippolyte exprima le désir de se réconcilier avec lui, fondit en larmes, et, après avoir pleuré, se sentit naturellement plus irrité que jamais ; toutefois il n’osa pas manifester sa colère. Le jeune homme allait fort mal, et, selon toute apparence, n’avait plus que peu de jours à vivre. En fait de secrets, il ne révéla rien, et se borna à conjurer le prince avec une agitation peut-être feinte de « prendre garde à Rogojine ». « C’est un homme qui ne fait aucune concession ; celui-là, prince, ne nous ressemble pas ; s’il se décide à une chose, il l’exécute sans trembler… » etc., etc. Désirant être renseigné avec plus de netteté, le prince multiplia les questions, essaya d’obtenir des détails précis, mais Hippolyte ne put citer aucun fait, tout se réduisait pour lui à des sensations, à des impressions personnelles. En fin de compte, il eut l’extrême satisfaction de causer au prince une frayeur terrible. Celui-ci avait d’abord souri en entendant son interlocuteur lui dire : « Vous devriez, du moins, vous sauver à l’étranger ; il y a des prêtres russes partout, vous vous marieriez là ». Mais, après avoir donné ces conseils, Hippolyte ajouta : « Je crains seulement pour Aglaé Ivanovna ; Rogojine sait combien vous l’aimez ; amour pour amour ; vous lui avez enlevé Nastasia Philippovna, il tuera Aglaé Ivanovna ; quoique vous ayez maintenant renoncé à elle, cela ne vous en sera pas moins pénible, n’est-il pas vrai ? » Il atteignit son but ; Muichkine se retira tout bouleversé.

Cette conversation eut lieu la veille du mariage ; le même soir, le prince et Nastasia Philippovna se virent pour la dernière fois avant la cérémonie nuptiale. Mais la jeune femme ne put rendre le calme à son futur époux ; dans les derniers temps, elle-même, au contraire, ne faisait que l’agiter de plus en plus. Autrefois, c’est-à-dire quelques jours auparavant,