Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/373

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le premier inquiétait un peu le prince par ses dispositions manifestement batailleuses, et il regardait avec colère les badauds rassemblés autour de la maison. Enfin, à sept heures et demie, Muichkine se rendit en voiture à l’église. Remarquons à ce propos que lui-même tenait à ne s’écarter en rien des usages reçus ; tout se faisait publiquement, ouvertement, au grand jour et « comme il convient ». Conduit par Keller, qui lançait à droite et à gauche des regards menaçants, le prince traversa l’église au milieu des chuchotements et des exclamations du public, et se retira momentanément dans le sanctuaire. Alors le boxeur alla chercher Nastasia Philippovna. Devant la maison de Daria Alexievna il y avait deux fois plus de monde que devant celle du prince et l’attitude de cette foule était aussi beaucoup plus hostile. En montant le perron, Keller entendit de telles vociférations qu’il ne put se contenir, mais, au moment où il se préparait à adresser une verte semonce au public, il en fut empêché par Bourdovsky et par Daria Alexievna, qui était aussitôt sortie de chez elle ; tous deux se saisirent de Keller et l’emmenèrent de force dans la maison. Il était furieux. Nastasia Philippovna se leva, donna un dernier coup d’œil à son miroir et, à ce que raconta ensuite Keller, fit remarquer avec un sourire « forcé » qu’elle était pâle « comme un cadavre » ; puis elle s’inclina pieusement devant l’icône et passa sur le perron. Un bruit de voix salua son apparition. À la vérité, dans le premier moment se firent entendre des rires, des applaudissements, des sifflets peut-être ; mais, au bout d’un instant, il se produisit aussi d’autres manifestations.

— Qu’elle est belle ! criait-on dans la foule.

— Ce n’est pas la première et ce n’est pas non plus la dernière !

— Le mariage efface tout, imbéciles !

— Non, trouvez-moi donc une pareille beauté, hourra ! s’exclamaient les plus rapprochés.

— C’est une reine ! Pour une pareille reine je vendrais