Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/388

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— Pourquoi donc ne m’as-tu pas demandé… puisque tu es allé au traktir ? questionna brusquement le prince.

Rogojine s’arrêta, regarda son interlocuteur et, après être resté un moment pensif, reprit comme s’il n’avait pas entendu la question :

— Vois-tu, Léon Nikolaïévitch, toi, suis toujours tout droit, jusqu’à la maison, tu sais ? Moi, je vais passer de l’autre côté. Mais ne me perds pas de vue, il faut que nous arrivions ensemble…..

Là-dessus, il traversa la rue et, quand il eut gagné le trottoir d’en face, regarda si le prince marchait. Celui-ci s’était arrêté et considérait son ami de l’air le plus étonné ; ce que voyant, Rogojine agita le bras dans la direction de la rue aux Pois et se remit en marche. À chaque instant, il se retournait vers le prince pour lui faire signe de le suivre. Ses traits exprimèrent une vive satisfaction quand il eut vu que Muichkine le comprenait et se conformait à ses désirs. L’idée vint à ce dernier que Rogojine avait changé de trottoir parce qu’il voulait épier le passage de quelqu’un. « Seulement, pourquoi donc ne l’a-t-il pas dit ? » Ils firent ainsi cinq cents pas, et tout d’un coup le prince commença à trembler. Rogojine retournait la tête plus rarement, mais il regardait encore derrière lui de temps à autre. Muichkine n’y put tenir et l’appela du geste. Aussitôt Parfène Séménitch traversa la rue et s’approcha de lui.

— Est-ce que Nastasia Philippovna est chez toi ?

— Oui…

— Et tantôt c’est toi qui étais à la fenêtre, et qui m’as regardé derrière les rideaux ?

— Oui…

— Comment donc n’as-tu pas ?…

Le prince s’interrompit, ne sachant quelle question faire ; d’ailleurs, son cœur battait si fort qu’il lui était même difficile de parler. Rogojine se tut aussi et le regarda comme précédemment, c’est-à-dire d’un air rêveur en quelque sorte.